Le plaisir se cultive…
Certains sont incroyablement doués pour grappiller les petits bonheurs dans le flux des contraintes de la vie, indépendamment des ennuis qu’ils rencontrent.
Éprouver du plaisir modère le stress, améliore notre humeur, nous rendant plus forts face à l’adversité. À chaque fois que nous rencontrons le plaisir, un système de récompense se déclenche dans notre cerveau, libérant de la dopamine. Cette substance entraîne des sensations agréables, ce qui nous motive à renouveler l’expérience.
Certes, la succession de petits plaisirs donne de la saveur à la vie, mais font-ils pour autant notre bonheur ? Oui, en grande partie, bien que le lien de causalité soit difficile à établir : est-ce leur somme qui nous rend heureux… ou les gens heureux qui ont plus de disposition à se les accorder ? Sans doute les deux ! Bien sûr, il ne s’agit pas d’un besoin vital, nous pouvons passer notre vie à les bouder, mais, incontestablement, elle sera nettement moins riche. Car l’art de se faire plaisir ne relève pas uniquement d’une bonne nature : il signe d’abord et surtout le fait que nous nous sentons suffisamment libres dans notre tête pour oser nous l’offrir…
C’est dans cette liberté psychique que se nichent les enjeux du plaisir :
S’aimer suffisamment
Nous connaissons tous des personnes incapables de se poser pour s’accorder un peu de bon temps. D’où vient cette difficulté ? Elles sont dans une fuite en avant pour tenter d’échapper à leur angoisse et préfèrent faire plaisir aux autres plutôt qu’à elles-mêmes, espérant en retour être aimées. Tant qu’elles n’auront pas fait un travail sur elles-mêmes pour découvrir pourquoi elles ne font pas de leur bonheur personnel une priorité, elles seront incapables de s’offrir des petites satisfactions. « Nous ne nous voulons pas que du bien, écrit la psychanalyste Maryse Vaillant. Des blessures infantiles et un narcissisme défaillant nous poussent à nous punir, comme nous l’avons été enfants. Il faut s’aimer suffisamment pour se faire plaisir. »
Assumer son histoire
Nous savons désormais que certains bébés ont la capacité de se bercer tout seuls quand d’autres sont inconsolables, les premiers ayant un taux de sérotonine plus élevé que les seconds. Comme toujours, l’environnement renforce ou entrave ces dispositions de base. Nous découvrons le plaisir parce que nous avons été caressés, câlinés pendant l’enfance, nous indiquant au passage que nous en étions dignes. Certes, nous accorder de bons moments est plus facile quand nous avons grandi dans un milieu qui les valorise, quand nous avons vu nos parents jouir de la vie. Mais cela peut également constituer un rattrapage sur l’enfance : « Je viens d’un milieu modeste, où les plaisirs étaient très limités. J’apprécie d’autant plus aujourd’hui de pouvoir manger dans un grand restaurant, de voyager, toute chose qui me paraissait si lointaine quand j’étais petit », relate l’écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière.
Assumer son originalité
Si nous passons en revue nos plaisirs, sans doute y trouverons-nous une mosaïque de souvenirs d’enfance. Rien, dans ces ravissements personnels, ne peut être ni codifié ni comparé. La sexologue Catherine Blanc confie l’une de ses petites madeleines : « Dans mon enfance, j’ai souvent voyagé en Afrique avec mes parents, et je me souviens de l’odeur du poisson pourri sur les marchés. Là où certains se boucheraient le nez avec horreur, j’apprécie ces effluves qui me ramènent à la magie de ces vacances heureuses. »
Chacun se les approprie à sa façon, les transforme pour en faire sa propre histoire. Il n’y a qu’à observer une fratrie, aucun ne puise aux mêmes sources. L’un salivera devant la tartine de beurre de son goûter d’enfant, tandis que l’autre n’y verra qu’une frugalité mal vécue et préférera de loin l’odeur des beignets d’une grand-mère adorée. Mais la vie évolue, et nos plaisirs avec elle. Essentiellement parce qu’ils naissent aussi du partage et de l’apprentissage. On peut avoir rechigné, toute son enfance, aux balades dominicales, en forêt, avec les grands-parents. Et se mettre, adulte, à la randonnée, en compagnie d’un ami passionné.
Lâcher ses défenses
Attention cependant à la recherche du plaisir pour le plaisir. Il ne faut pas être encombré par les soucis pour se laisser aller et savourer le bien-être ! De fait, être capable de s’y abandonner est l’indice que nous n’allons pas trop mal dans notre vie… C’est d’ailleurs l’élément majeur dans l’un des plaisirs les plus difficiles à s’accorder : celui de la sexualité. À la différence des bienfaits sensuels, doux, inoffensifs, celui-là est exigeant, demande un abandon total, un lâcher-prise qui peut être inquiétant : l’autre ne va-t-il pas profiter de mes failles ? D’offrier du plaisir, c’est pouvoir slalomer tranquillement entre ces deux pôles : trouver le plaisir, mais ne pas en dépendre.
Jouir de peu
Nous vivons dans une époque qui nous pousse à confondre plaisir et consommation de bien-être. Or, tout l’art de se faire plaisir est de savoir jouir de peu, des petits événements à notre portée, de prendre la vie comme un cadeau. Nous sommes attirés par des leurres, notamment celui de penser que, avec la richesse, nous pourrons nous accorder tous les délices. Ce qui justifie de toujours reporter le bien-être à demain. Des chercheurs ont constaté au cours d’une expérience que les sujets qui venaient de s’accorder un plaisir donnaient plus volontiers à un faux mendiant placé sur leur chemin. Bref, qu’ils se montraient plus généreux. Une manière de joindre l’agréable et l’utile…
Faire l’amour est-il vital ?
Cela se saurait ! Ce n’est pas parce que nous sommes, depuis la naissance, mus par des pulsions sexuelles que nous devons forcément passer à l’acte. Rien de plus immédiat, banal et fréquent que le désir sexuel : nous pouvons l’éprouver dans la rue, au café, dans le métro… Mais nous le refoulons, nous reculons, par peur, par éducation, par éthique même parfois. Nous sublimons aussi quand nous aimons quelqu’un sans pouvoir faire l’amour avec lui, a expliqué Freud, en soulignant la capacité des êtres humains à utiliser leurs élans pour s’élever intellectuellement, artistiquement…
Cela dit, la sexualité est source de vitalité. Et quand le sentiment amoureux s’en mêle, désir et plaisir viennent transcender la plate décharge de la satisfaction organique. « Les amants qui s’aiment connaissent une jouissance supplémentaire. […] Les deux se confondent. Il y a désinvestissement de la valeur de l’organe. On fait corps. C’est une jouissance qui écrase », soulignait en 2008 le psychanalyste Jean-Jacques Moscovitz. Tous les psychanalystes et neurobiologistes reconnaissent que le plaisir et la sécrétion dans le cerveau d’hormones le suscitant sont stimulés quand nous aimons notre partenaire sexuel.
À ces plaisirs décuplés s’ajoutent d’autres bienfaits. Le désir et le sentiment partagés nous permettent de réaliser que nous existons et de prendre vraiment confiance en nous. Quand « l’érotisme se mêle au besoin de complétude de soi-même, renchérit la psychanalyste Monique David-Ménard, nous lui demandons : “Dis-moi que tu m’aimes, c’est-à dire que je suis bien comme je suis.” »
Alors, faites vous plaisir !